Près de 80% des insectes auraient disparu en Europe

Une étude a mis en évidence l'effondrement des populations d'insectes volants. Peut-on espérer une réaction politique avant l'effondrement final ?

Coquerelle

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Rien ne nous sera épargné. Nous avions déjà entendu que plus de la moitié des vertébrés de la planète avait disparu en quarante ans, que la France avait perdu 50% de ses chauves-souris restantes entre 2006 et 2014, que les abeilles étaient officiellement reconnues comme une espèce en voie de disparition. Et voilà qu’une étude publiée le 18 octobre dans la revue PLoS One estime que le déclin des insectes volants en Allemagne en moins de trente ans est de 76% (et jusqu’à 82% au milieu de l’été). Nous pourrions ne pas nous en inquiéter et nous dire que cela ne concerne que nos voisins allemands, que l’étude ne porte pas sur la France et qu’il n’y a donc aucune raison de tirer le signal d’alarme. Seulement voilà, le principal facteur explicatif mis en évidence par les chercheurs est l’intensification des pratiques agricoles et l’utilisation massive d’engrais de synthèse et de pesticides. Or, avertissent les auteurs de l’étude, les systèmes agricoles de la France et du Royaume-Uni sont « très semblables » à ceux de l’Allemagne et ont recours aux intrants mis en cause. En conséquence de quoi « il y a une bonne ‘chance’ pour que l’Allemagne soit représentative d’une situation bien plus large ». En outre, les interactions des écosystèmes sont telles que les insectes allemands sont connectés par des mécanismes écologiques aux insectes des autres pays. Il est donc peu probable que l’effondrement constaté en Allemagne se limite à cette seule Allemagne. Rajoutons encore que les insectes sont liés aux vertébrés – dont l’effondrement sur l’ensemble de l’Europe est dument documenté – par des interactions proie-prédateur et que le déclin des vertébrés entraîne mécaniquement celui des insectes.

 

Que se passerait-il si les insectes venaient à disparaître entièrement ? Tout simplement le pire. « Il apparaît que nous rendons de vastes étendues de terre inhospitalières à la plupart des formes de vie et que nous sommes en route vers une apocalypse écologique », a déclaré au Guardian Dave Goulson, un des auteurs. « Si nous perdons les insectes, tout va s’effondrer. » Il est d’usage, pour décrire les actions écologiques, de parler de « sauver la planète ». Or la planète Terre se remettra très bien de la sixième extinction de masse que nous vivons. Elle en a vu d’autres, et notamment la disparition des dinosaures. Celle qui ne va pas s’en remettre, en revanche, c’est l’humanité, tributaire et dépendante des interactions entre toutes les formes de vie existant actuellement sur le globe. Ce « tout » qui va s’effondrer, c’est ce qui nous permet de respirer, de boire de l’eau potable, de produire la nourriture dont nous avons besoin pour vivre. Autrement dit, la planète n’est pas en danger, mais nous, nous le sommes.

 

On aurait pu penser que, depuis le temps que les scientifiques donnent l’alerte, les responsables politiques des pays occidentaux auraient réagi. Qu’ils auraient questionné la pertinence des modèles économiques et de la consommation de ressources qu’ils occasionnent à l’aune de ce que nous commençons à savoir. Qu’ils auraient compris, enfin, que les mobilisations contre les « grands projets inutiles » (A45, Notre-Dame-des-Landes, Center Parcs, stades géants) sont notamment basées sur des données chiffrées quantifiant l’effet de ce type d’équipement sur la biodiversité et les équilibres naturels. Mais non. Ils s’accrochent coûte que coûte à l’idée que ces grands projets faciliteront l’accès à l’emploi et que cela compensera d’une manière ou d’une autre – mais laquelle ? – les dégradations écologiques qu’elles entraînent.

 

Le combat contre la centrale à biomasse de Gardanne est le dernier exemple en masse de l’aveuglement volontaire de la classe politique française. Comme le rapportait Reporterre au début du mois, les parcs naturels du Verdon et du Lubéron et l’association France Nature Environnement PACA ont dû l’accepter sous la pression car la région menaçait de leur supprimer leurs subventions s’ils persistaient dans leur refus. Or 70% à 80% de leur budget dépend de financements régionaux. Ce n’est certes pas la première fois que des associations de la nature sont ainsi menacées : les auvergnates et les rhônalpines, qualifiées par Laurent Wauquiez d’ « ayatollahs » et « doryphores vivant sur la bête », ont déjà subi l’ire du président de la grande région fusionnée (et probable futur président des Républicains, ce qui n’augure rien de bon quant à la prise en compte de l’urgence de la situation par la droite). Mais les arguments avancés par ceux des hommes politiques qui dépassent l’insulte pour tenter un argumentaire donnent l’impression de venir d’une autre époque. « Il est temps que chacun se ressaisisse et comprenne que l’écologie n’est ni une doctrine ni une idéologie, mais doit être mise au service de l’économie pour faire de la croissance verte un atout et faire gagner la France » : la déclaration est signée Renaud Muselier, président de la région PACA. Les insectes volants dont les effectifs s’effondrent doivent-ils eux aussi se ressaisir et comprendre qu’il leur faut croître et multiplier malgré des vents hostiles, pour se mettre au service de l’économie et de la croissance européenne ? Les chauves-souris et les vertébrés sont-ils eux aussi des fainéants qui ne déclinent que par idéologie et refus de se mettre au service de la croissance verte qui fera repartir l’Europe ?

 

Entre les discours politiques et la réalité écologique, le fossé se creuse un peu plus chaque jour. Emmanuel Macron n’a pas eu beaucoup de mots pour l’écologie lors de sa dernière intervention télévisée. Nicolas Hulot essaie de ménager la chèvre et le chou depuis sa nomination. Nos hommes politiques ne font rien pour inverser la tendance qui va mener à la disparition de la vie humaine et s’en félicitent. À moins que ceux qui ont en main les leviers d’action ne vivent un chemin de Damas, nous boirons le calice jusqu’à la lie.

Date de dernière mise à jour : lundi, 23 octobre 2017

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