Il aura fallu cinquante ans pour que l’intelligence artificielle donne aux autorités un pouvoir jamais égalé : celui de tout voir, tout entendre, partout, tout le temps », prévient d’emblée une voix off peu rassurante. En 2020, au nom d’une sécurité érigée – à tort – en priorité face aux libertés, les États veulent tous se doter d’outils dernier cri pour détecter les émotions, prédire les crimes ou transformer nos visages en fonctions mathématiques.
Réalisé par Sylvain Louvet, ce film rigoureux s’aventure évidemment en Chine, régime emblématique de la surveillance de masse : il décrypte le crédit social, version contemporaine d’une bureaucratie totalitaire qui ambitionne de noter tous les citoyens pour en faire des « citadins d’excellence » ; il se rend à Ouroumtsi, capitale du Xinjiang, région à majorité musulmane où capteurs, caméras et applications sont mis au service d’un génocide culturel perpétré contre la communauté ouïgoure.
« La technologie est une maladie », lâche Mihrigul dans un sanglot. Elle a perdu un enfant dans un « camp de rééducation » construit à la hâte par Pékin pour enfermer la population. Mais l’empire du Milieu n’a pas le monopole de ce contrôle social dopé aux algorithmes. L’Israélien Anyvision, leader de la reconnaissance faciale, surveille aussi bien les territoires palestiniens que les rues de Nice pendant le carnaval. « La guerre du XXIe siècle se mène avec les armes du XXIe siècle », fanfaronne Christian Estrosi, fier de son nouveau jouet. Face caméra, le sociologue Laurent Mucchielli a beau s’inquiéter de l’émergence d’un « modèle de société paranoïaque » qui anéantit le lien social, les chiffres parlent d’eux-mêmes : aujourd’hui, ce marché de la peur pèse 40 milliards de dollars.